Édito


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« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » Le thème du Festival reprend ce vers célèbre d’Aragon. La date de parution du livre « Roman inachevé » (où se trouve ce poème) explique largement son ton amer et nostalgique. En 1956, Budapest sombrait sous l’assaut des chars soviétiques, et l’URSS elle-même dénonçait les crimes « du culte de la personnalité stalinien». Les Partis Communistes du monde entier sont effarés.

Aragon avait de quoi être décontenancé, lui qui avait chanté, « Vive le Guépéou (police politique de Staline), figure dialectique de l’héroïsme. »  Le croyant athée ne savait plus à quel saint communiste  se fier.  Le mur de Berlin se lézardait déjà, avant même d’avoir été construit. Le poète aurait pu aussi bien écrire : Est-ce ainsi que les illusions meurent ?
Dans le même poème Aragon a écrit : « La pièce était-elle ou non drôle / Moi si j’y tenais mal mon rôle / C’était de n’y comprendre rien ».

Mais, me direz-vous, pourquoi nous parler d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, sauf par les livres et par les documentaires ? Parce que ce vertige d’Aragon résonne en nous avec une actualité imprévue.
La planète est confrontée à une mutation rapide et sans retour. La précarité gagne tous les aspects de la vie humaine : le climat, les équilibres internationaux, les inégalités, le travail, la formation, les frontières, les familles… Certains se sécurisent avec les vieilles idéologies totalitaires ou rêvent d’un passé idéalisé. Tous les vieux repères tombent.
« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » exprime l’angoisse moderne qui s’accompagne d’une volonté de justice, de solidarité envers les plus faibles, et notamment envers les exilés qui fuient la guerre, l’oppression ou la misère.

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Nous accueillons à nouveau nos amis Québécois, fidèles partenaires, avec un nombre important de films. Notre ouverture sur l’international se poursuit aussi avec le Mexique. Nous travaillons une nouvelle fois main dans la main avec l’IRIS dans une perspective d’échanges. Enfin, nous offrons nos écrans à des réalisateurs comme Pierre Carles, qui vont toujours chercher à la marge le poil à gratter qui pourrait nous faire éternuer. CP Productions fêtera avec nous ses 20 ans d’existence, et ce sera un anniversaire joyeux !

Nous avons aussi souhaité rendre un hommage particulier à Michka Saäl, disparue en juillet 2017, une amie pour nous, une réalisatrice de talent pour tous. Ses films d’une grande poésie incarnent cette démarche des hommes et des femmes qui ne se contentent pas du monde tel qu’il est.

Le Festival évolue. Nous avons développé trois pôles autonomes : le Festival de Lasalle, le Réseau de diffusion qui va irriguer villages et territoires (Le Vigan, Ganges, Anduze, Ispagnac, Pont de Montvert, Vialas en liaison avec nos partenaires locaux), et la Production. DOC-Cévennes développe également un volet « Education à l’image », en direction des publics de collèges (Anduze, Le Vigan, Ganges) et de lycées (Lunel, Le Vigan), avec des projections et des interventions en période scolaire.

Au moins le temps du Festival, et pourquoi pas au-delà, nous aimerions que les hommes vivent très simplement comme le propose le poète russe Ossip Mandelstam – mort au Goulag soviétique, le 27 décembre 1938 : « Prendre un passant par la main et lui dire : sois gentil faisons route ensemble ».

L'équipe du Festival